Haute-Normandie : quand Le Neubourg fut une ville d'eau !

Publié le par Julien Gonzalez

La source Sanson au Neubourg

par Jacques HEROLD et Philippe MARCHE





Quant au XIème siècle, Roger de Beaumont voulut doter cette fertile
pénéplaine, aujourd’hui dénommée Plateau du Neubourg, d’une ville, il ne pouvait s’agir que d’une ville fortifiée en bourgage ; il choisit un site qui naturellement convint, un promontoire entouré de vallons secs assez profonds.

Comme toute la campagne environnante, l’endroit était dépourvu d’eau. On dut pendant huit siècles se contenter de l’eau des pluies, heureusement fréquentes, se rassemblant dans les fossés de défense et de celles de quatre puits où elle se trouvait à grande profondeur. Au XIXème siècle, les ménagères du Neubourg manquaient d’eau pour les besoins ménagers, leurs lessives particulièrement. Pour les ménagères des quartiers urbains des villes, qui, dans leurs cuisines en étage et sans eau courante, se heurtaient à semblable problème, on avait ouvert des lavoirs publics.

Un propriétaire du Neubourg, Louis Etienne SANSON, qui avait été huissier, imagina de venir en aide à ses concitoyennes d’une manière analogue. Il possédait un terrain dans un des vallons ceinturant le Neubourg : là en contrebas on devait atteindre les eaux souterraines par un puits d’une profondeur moindre qu’en ville ; une pompe actionnée par un manège à cheval devait permettre de remonter l’eau et de la distribuer dans des bacs et bassins où l’on pourrait laver etrincer. Fini de puiser et de charrier l’eau !

Louis SANSON demanda à un sourcier de lui indiquer l’endroit de son terrain où il trouverait des eaux souterraines à peu de profondeur. Au lieu indiqué, SANSON en 1854 fit forer un puits de 1m30 de diamètre, maçonné en briques jusqu’à une profondeur de 16m20. Au dessous, les parois furent naturellement constituées par la marne très compacte, avec pognons de silex, dans laquelle on creusait. Enfin, à 32m50 de profondeur, on parvint à des veines argileuses verdâtres.

 

Au cours du creusement, on remarqua que des parois de marne l’eau par des fissures, suintait puis ruisselait : on creusa horizontalement à partir du fond du puits, une galerie deux fois recourbée à angle droit, ayant dans son ensemble la forme d’un fer à cheval. Cette galerie, en vingt-quatre heures, se remplit de 40.000 litres d’eau, atteignant la hauteur de 1m30.

Peu de temps après la mise en service des lavoirs, les femmes venues laver leur linge firent une remarque assez singulière. Après avoir lavé toute la journée, le soir, elles avaient la peau des mains plus douce et plus lisse, tandis que lavant dans d’autres eaux, l’effet contraire s’opérait, et souvent même leurs mains étaient gercées.

Bientôt, la douceur, la bonté, la limpidité et la pureté de l’eau de la source des époux SANSON furent connues dans le pays.


A la recherche des particularités de l’eau.


Un pharmacien du Neubourg, LEMERCIER, demanda de l’eau de
la source pour fabriquer de l’ « eau de Selz » artificielle. Cette eau fut plus recherchée comme étant plus douce, plus agréable, et plus bienfaisante que les autres eaux de même fabrication. Le pharmacien, naturellement observateur, remarqua que le bassin qui recevait l’eau de la source dégageait beaucoup de gaz. Il analysa l’eau et constata une grande quantité d’oxygène, puisque le gaz avait la propriété de rallumer les corps en combustion.

D’autre part, un jeune ébroïcien, Edouard FERRAY (2), étudiant en pharmacie, eut connaissance de l’eau de cette source et s’y intéressa. Emerveillés par cette découverte l’un ou l’autre du pharmacien Neubourgeois ou de l’étudiant ébroïcien (les documents varient sur ce point) engagea le SANSON en 1861 à faire analyser d’une manière approfondie l’eau de leur puits, par JACQUELIN, préparateur de chimie à l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures.

Cet examen fit l’objet d’un long et consciencieux travail dont il ressortait que l’eau de la source Sanson contenait, comme on l’avait pressenti, une forte quantité d’air en dissolution.

JACQUELIN soumit son mémoire à l’Académie des Sciences le 14 octobre 1861 et à l’Académie de Médecine le 22 du même mois.

 

Malgré les qualités de l’eau de leur puits, signalées en haut-lieu, il ne semble pas que les propriétaires, jusqu’au décès de Louis SANSON, survenu au Neubourg le 12 novembre 1883, aient envisagé l’utilisation autre de cette eau que pour l’alimentation des lavoirs.

Après ce décès, le gendre de Louis SANSON, Hégesippe Frédéric BOURDON, commerçant rue Chartraine à Evreux, Conseiller d’arrondissement d’Evreux-sud de 1874 à 1892, envisagea, lui, une exploitation plus noble de la source.

Afin de rappeler son existence, et la mieux faire connaître dans les milieux scientifiques, Edouard FERRAY, devenu pharmacien à Evreux, sur le Carrefour, fit le 26 mai 1891 une communication sur l’eau de la source Sanson au congrès des Sociétés Savantes se tenant à la Sorbonne.

Après des considérations fort techniques par lesquelles il définissait l’eau minérale, il déclarait :  « Au Neubourg, dans l’Eure, l’eau d’une source, la « source Sanson » renferme en dissolution une certaine quantité d’oxygène supérieure à celle ordinairement rencontrée dans les eaux s’écoulant naturellement du sol ».

C’est ainsi que la quantité d’oxygène contenue dans chaque litre d’eau était de :

-7,0 c.c. pour la Loire à Orléans.

-7,4 c.c. pour le Rhin à Strasbourg.

-7,9 c.c. pour la Garonne à Toulouse.

-8,0 c.c. pour le Rhône à Genève.

-9,5 c.c. pour le Doubs.

-11,0 c.c. pour la Source Sanson.

Edouard FERRAY terminait ainsi son rapport : « Je dois ajouter pour finir que deux médecins ont fait usage comme boisson de l’eau de la source Sanson. Le premier, le docteur Lemercier de Paris dit que son emploi a développé son appétit et facilité sa digestion. Le second, le docteur Désormeaux du Neubourg, diabétique, avait remarqué que l’eau de la source Sanson a modifié heureusement son affection » .

Les efforts de BOURDON furent couronnés de succès : après un avis favorable de l’Académie de Médecine du 12 mars 1895, il obtint par arrêté ministériel du 25 avril 1895 l’autorisation d ‘exploiter et de vendre l’eau de la source Sanson comme eau de table et minérale.


L’exploitation de la source Sanson.


L’exploitation de la source Sanson, devenue possible, fut entreprise
aussitôt.

Sur le site du puits des bâtiments légers furent élevés, leur aspect baraquement est constaté par des cartes postales quelques peu publicitaires. Le premier abritait le puits lui-même, équipé de pompes actionnées par un manège à cheval, bientôt remplacé par une machine à vapeur.

L’eau, d’abord par une rigole à l’air libre, remplacée par un tuyau de plomb fixé à la colonne élévatoire, était conduite par la pression des pompes à un second bâtiment où elle était mise en bouteilles capsulées et étiquetées.

En dehors de ces deux bâtiments, les bouteilles étaient lavées, rincées dans des bacs (vestiges peut-être des lavoirs) et stérilisées. La confection des caisses d’expédition était effectuée sur place. L’emballage pour l’expédition se faisait par caisses de 50 bouteilles (5 rangs de 10, séparés par des couches de paille). Un homme montait sur les bouteilles pour bien les tasser. Les caisses de bouteilles étaient enfin conduites périodiquement aux de fer par des chariots tirés par des chevaux. Le transporteur était soit la Maison Herpin (fabrique de fromages au cours Saint-Paul), soit la Maison Houdent, entreprise de transport (les témoignages divergent sur ce point).

Grâce aux cartes postales, aux éloges des prospectus publicitaires et aux étiquettes des bouteilles, l’exploitation demeurait satisfaisante, surtout grâce à l’expédition d’eau des bouteilles.

Les installations, si l’on en croit les publications de l’époque, étaient susceptibles de produire 40.000 litres d’eau en 24 heures ; si l’on se réfère aux montants des ventes, que nous évoquerons, il fait voir en ce chiffre la capacité théorique de débit de la source.

Cette eau minérale gazoxygénée naturelle était la plus riche du monde en oxygène. Les globules d’air suroxygénés se dégageaient lentement après 20 à 30 minutes d’exposition à l’air libre et à la lumière. Cette eau était très efficace contre les dyspepsies, les gastralgies, les gastro-entérites, et était souveraine dans le traitement

du diabète.

L’eau était vendue en bouteilles capsulées 14 sous l’unité (=70 centimes). On les trouvait à la pharmacie QUESNEL au Neubourg (sur la place ; officine aujourd’hui disparue), et dans diverses officines urbaines, notamment à Paris. Il fut vendu :

-25.442 bouteilles en 1898.

-23.874 --- -- 1899.

-23.534 --- -- 1900.

-19.819 --- -- 1901.

-19.416 --- -- 1902.

-21.626 --- -- 1903.

La diminution qui apparaît dans le nombre de bouteilles vendues correspond à la fin de vie de BOURDON.


Les mutations de l’entreprise.


La veuve de BOURDON, par acte du 14 décembre 1906, loue son
terrain et ses installations, avec promesse de vente à LALOU, ancien député et encore conseiller général du Nord.

Sous l’impulsion de celui-ci l’importance des ventes remonte : en dix mois le nombre des bouteilles vendues atteint 40.000.

Fin décembre 1907, Mme BOURDON vendit sa propriété, y compris sa source, à LALOU.

Immédiatement, en 1908, celui-ci demande la création d’un périmètre de protection. En avril 1912, LALOU cède l’exploitation de la source au docteur Maurice PERRIER. Six mois plus tard, en septembre 1912, ce dernier la céda à une société anonyme dénommée « COMPAGNIE GENERALE DES EAUX MINERALES DU NEUBOURG ».

A partir de cette époque les étiquettes des bouteilles indiquant cette société comme exploitante de la source ajoutaient : « Adresser les commandes à la Société Fermière, direction administrative 10, rue Caumartin à Paris », ce qui était l’adresse de LALOU qui n’avait pas

renoncé à tout intérêt dans l’affaire.

 

 

De cette époque date, sans doute, le remplacement des bâtiments d’exploitation en léger par des bâtiments en dur. Les souvenirs et témoignages d’anciens employés ou de leurs proches nous ont donné ces précisions : « La pompe était mue par un moteur électrique qui avait remplacé la machine à vapeur. L’automatisme était utilisé, les machines étaient modernes. »

L’exploitation de la source était dirigée par Edgard LALLEMANT, nommé directeur, qui était par ailleurs agent d’assurances au Neubourg.

Le personnel comprenait six employés dont LEHEU, contremaître. Périodiquement, un homme descendait au fond du puits à l’aide d’un treuil.


Stagnation et dégradation.


L’exploitation de la source fut perturbée par la première guerre
mondiale de 1914-1918 ; la production stagna ensuite.

Cependant, en mars 1925, parut le premier numéro du « Bulletin de la source Sanson », et jusqu’en 1929 l’exploitation permit d’offrir un prix aux courses hippiques qui avaient lieu au Neubourg à La Pentecôte.

Depuis des siècles, les eaux usées du Neubourg s’écoulaient vers le vallon. Du fait de l’adduction d’eau leur volume augmenta et s’infiltrant, elles polluèrent les eaux souterraines.

En 1930, la pollution de la source Sanson était acérée, et donc l' exploitation en tant qu’eau de table et minérale, prit fin. En 1935, le terrain et les bâtiments de la source furent achetés par LAMERANT, qui trouva sur place à l’abandon bouteilles, étiquettes et caisse d’expédition. En 1944, lors de la Libération de Normandie, une bombe perdue détruisit les bâtiments d’exploitation de la source. Seule résista la dalle de ciment au sol et couvrant l’orifice du puits, bientôt recouverte de végétation. L’emplacement de source devint ensuite propriété de la ville.

Ce n’est que vingt ans plus tard, qu’un arrêté du 28 novembre 1953, paru au Journal Officiel, rapporta l’arrêté du 25 avril 1895 qui avait autorisé l’exploitation de la source.

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