Quand Thise (Doubs) était une ville d'eau !

Publié le par Julien Gonzalez

Marguerite_Perrier_logo.jpgQuand Thise était ville d’eaux…


Au début du XXe siècle, le village de Thise exploitait une source d’eau minérale


par André Guyard & Jacques Bonet

 

En réalité, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une source, mais d’un puits de captage dans la nappe phréatique après un sondage réalisé en février 1910. La structure d’exploitation de l’eau a été bâtie à l’aplomb même du puits. Et cet atelier existe toujours : il s’agit de la maison Seiler, un bâtiment situé juste avant le passage à niveau à gauche du chemin départemental D. 481 qui conduit vers la R.N. 83.

 

 

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Source Marguerite : situation dans le village de Thise
Vue satellite Spot
On peut se fier au témoignage d’E. Fournier, une sommité en géologie et minéralogie qui professait à l’Université de Besançon au début du XXe siècle, qui a décrit les cavités souterraines de Franche-Comté et dressé l’inventaire des ressources en eau de notre contrée. Un siècle plus tard, son œuvre fait encore référence.

« Un sondage — écrivait le Professeur Fournier en 1919 — a permis de capter une nappe d’eau ferrugineuse, carbonatée, légèrement radioactive, (source Marguerite) qui, grâce à la zone de protection créée, est d’une grande pureté bactériologique et constitue une eau de table excellente ». L’eau est déclarée d’utilité publique en tant qu’eau ferrugineuse. D’où vient le fer : l’oolithe ferrugineuse de l’Aalénien n’est pas loin dont le minerai a été exploité au XIXe siècle dans la vallée du Doubs, notamment à Deluz et à Laissey. Dans cette dernière bourgade subsiste encore une entreprise de fabrication d’outillage métallique, connue longtemps sous le nom des Établissements Bost.
D'où provient cette eau ?

Les ressources en eaux profondes d'origine karstique sont encore mal connues dans la région : un sondage de 300 m réalisé à l'est de Chalèze a fourni un faible débit (15 m3/h) d'une eau artésienne. Cette nappe profonde est plus abondante en amont, à Novillars où elle est captée dans différents puits pour assurer l'alimentation en eau de la Papeterie du Doubs, ainsi que celle du village de Thise. La nappe semble s'étendre en amont jusqu'au niveau des communes de Deluz, voire de Laissey et en aval jusqu'à Thise où le puits de Chailluz participe à l'alimentation de l'agglomération bisontine. D'après la notice de la carte géologique de Besançon cette nappe semble avoir pour trop-plein la source du Trébignon à Thise au niveau de la voie ferrée ainsi que la source Marguerite,  notre fameuse petite source ferrugineuse de Thise.
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Carte géologique de la région
Les couches ferrugineuses ne sont pas loin. Document BRGM
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Légende de la carte géologique


Est créée la SOCIÉTÉ ANONYME DES EAUX DE SOURCES NATURELLES ET MINÉRALES DE FRANCHE-COMTÉ qui se rend acquéreur du domaine de la source Marguerite : une propriété de 3 ha. Cette société confie à Joseph Beuque un terrassier thisien le soin de construire un puits pour atteindre la nappe. L’eau est pompée par un simple tuyau qui descend dans le puits. Construit sur le puits même, un bâtiment est édifié en pierres et moellons qui comprend de grandes salles de puisage, d’embouteillage, d’emballage avec des caves en sous-sol.
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Le puits de la Source Marguerite est encore visible
On aperçoit à droite le tuyau allant chercher l’eau dans
la nappe phréatique. La couleur rouille
des concrétions calcaires
indique une forte teneur en fer.
La profondeur de ce puits avoisine les 4 mètres.
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La pompe de la Source Marguerite

Le lancement de la production est soutenu par la publicité. En témoigne un encart publicitaire paru dans la Dépêche Républicaine du 4 mai 1912. L’eau de la source thisienne est promue au noble rang d’Eau Pure et Naturelle ! Elle est vendue en pharmacie, et il y a même un dépôt à Besançon et un autre à Paris !
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Publicité pour la Source Marguerite
La Dépêche Républicaine du 4 mai 1912.

La Société fait fabriquer des bouteilles de différentes capacités : un quart, un demi et un litre. La bouteille de la Source Marguerite présentait un goulot élancé et un profil ventru.
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Identification de la Source Marguerite fondue dans le verre
Le ventre de la bouteille annonce celui de la bouteille Perrier.

Au début de l’exploitation, elle était munie d’une simple étiquette en papier. Puis apparurent six modèles de bouteilles en verre, les premières, ventrues, portent l’indication THISE LEZ ROCHE fondue à même le corps. Cette forme caractéristique des bouteilles est, semble-t-il, un héritage de la Source Marguerite à la Source Perrier.
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Différents types de bouteilles
Pierre Seiler trouve encore des bouteilles dans son jardin

Pour en avoir le cœur net, Claude Proudhon, un enseignant retraité qui se voue à l’histoire locale a écrit à la Source Perrier. Malheureusement, sa missive est restée sans réponse.

Louis Barbier né en 1910 et qui a habité avec ses parents dans la maisonnette du Chemin de Fer gardant le passage à niveau, juste à proximité du captage, avait gardé un souvenir précis des activités de l’atelier. L’eau était filtrée puis embouteillée automatiquement. Une énorme citerne qui existe encore construite sous la toiture recueillait les eaux de pluie qui servaient au lavage des bouteilles… et peut-être à diluer l’eau ferrugineuse. Le lavage et l’embouteillage étaient assurés par des ouvrières. Il existait à Thise depuis 1890-91 un atelier de fabrication de capsules métalliques et les bouteilles étaient encapsulées à la façon des bouteilles Perrier.
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Les ateliers à l’époque de la Source Marguerite
Carte postale de la collection Claude Proudhon

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Avec la mobilisation et la guerre de 1914-1918, l’activité de la source Marguerite entre en léthargie. Mais en 1921, la Société Dérédenat et Cie associée aux deux frères Panier rachète l’ensemble des immeubles dans le but de poursuivre l’exploitation de la source.
Les nouveaux propriétaires ont l’idée de diversifier la production avec d’autres boissons : sodas (pur sucre) à trois parfums différents : framboise, citron et pistache livrées dans des bouteilles encapsulées. Deux appareils muraux gazéifiaient à l’acide carbonique le contenu de la bouteille renversée. Puis on passera à des bouteilles de limonade de forme cylindrique munies d’un système de fermeture à bascule.

Masqué en partie par des modifications de la construction, le quai d’embarquement est encore visible aujourd’hui. Mais la Source Marguerite ne livrait pas ses clients. Contrairement aux maisons concurrentes, comme Gangloff ou Barchel, les cafetiers venaient se fournir sur place.
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Les ateliers visibles avant le dernier aménagement de la maison Seiler
Cliché Pierre Seiler.

Une affiche publicitaire orne encore les murs de l’atelier même de la source. Mais son ancienneté a rendu son support papier très friable. De toute façon, on ne peut plus la voir en entier car les aménagements ultérieurs des locaux la masquent en partie. Claude Proudhon s’est efforcé de la reconstituer en partant des différents éléments qui la constituaient.
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Source Marguerite Thise lez Roche
Pancarte reconstituée par les soins de Claude Proudhon

La durée de la société étant fixée à 9 années, l’exploitation de la source d’eau minérale s’est arrêtée au cours de la décennie 1930. La situation en contrebas du village faisait dire aux mauvaises langues que la source provenait du cimetière et, en plus, l’eau ferrugineuse tachait le linge !

En 1936, l’établissement est transformé en café. M. Boffy, le nouveau propriétaire modifie l’atelier pour en faire une grande salle qui subsiste encore quelques années dans le style du café champêtre : le Café des Amis.

La maison actuelle est la propriété de la famille Seiler qui conserve précieusement quelques échantillons de bouteilles et retrouve régulièrement dans le jardin des morceaux de verre datant de l’époque glorieuse de la Source Marguerite.

"Source" bibliographique

MASSON H., PERRIN G. & PROUDHON C., Thise, d’hier à aujourd’hui, Empreinte Ed. 320 p. 2002.
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